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Le jour où j'ai appris que j'étais malade

21 juin 2024 par
Elise do Marcolino

La psychologie considère comme un traumatisme l’annonce d’un diagnostic. Le jour où un médecin maussade m’a annoncé ma maladie, j’ai compris pourquoi tant de gens se détournaient de la médecine conventionnelle.  


“Bon courage.” Il portait son sourire en ordonnance. Avec l’humilité d’un médecin qui laisse son patient à son triste sort. Comme s’il disait : “Tiens, démerde toi avec ce que je viens de t’apprendre”, avant de claquer la porte. Couloir. Bus. Maison. La vie devait continuer même si désormais, elle ne se brosserait qu’avec courage. Le jour où j’ai appris que j’avais une sclérose en plaques, je n’ai été ni choquée, ni déçue. Je me suis habillée d’un joli sourire à rendre au radiologue et j’ai passé mon chemin avec la résignation d’une tortue. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Alors j’ai avancé, je suis retournée au travail, et je me suis contentée de ça. Je savais qu’à partir de ce jour, c’était tout ce que j’aurais. Sans doute brise-t-on une vitre dans le plafond de verre de la malchance, quand pour dire au revoir, le médecin dit “bonne chance”. C’est une invitation au désespoir. Pire, à la résignation. La SEP, c’est incurable et dégénératif. Chouette, ma vie ne sera qu’une éternelle pente descendante. Et bon courage, ma vieille tortue.


Il y a des mots pour annoncer le désespoir. Des pincettes pour déposer les maux incurables dans les esprits des patients. Hélas, les médecins n’ont plus le temps d’arrondir les angles, et il y a une pénurie de pincettes en ce moment. Difficile de ménager les patients. Il y a huit radiologues et quatre neurologues par tranche de 100 000 habitants en France. J’avais un quart d’heure pour recevoir les résultats de l’IRM médullo-cérébrale qui allaient changer ma vie. Lui avait 300 secondes pour me détailler les signes cliniques sur les centaines de découpes imagées de mon cerveau, quelles parties de mon système nerveux elles influençaient. Puis digresser sur la notion de maladie auto-immune, inflammatoire, dégénérative… Faire comprendre à une gamine de 21 ans titulaire d’un bac littéraire comment le système immunitaire, via des poussées inflammatoires, attaque les gaines de myélines qui relient les neurones aux synapses dans la matière blanche qui cerne la matière grise. Le tout en réussissant à glisser que c’est incurable, que les chances de handicap lourd sont de 40 % et que 80 % des patients arrêtent de travailler 10 ans après leur diagnostic. Ah oui, et que le traitement consiste à créer une sorte de VIH. Easy, drop the mic doc ! Tu as réussi à tout caser en 300 secondes. Eminem n’aurait pas fait mieux en 20 mesures. 


Je comprends pourquoi les patients détestent leurs médecins. Ce ne sont pas des Prométhées, ce sont des Cassandres. Ils ouvrent des boîtes de Pandore toutes les 300 secondes, des dizaines de fois par jour. Un cabinet, c’est une usine à désarroi, on en fabrique à la pelle. On paye très cher pour ça. On avance des frais pour galérer pendant des semaines avec nos mutuelles et on se rue sur les secrétaires avant de mettre un pied dehors pour ne pas oublier de reprendre un raro-précio-sacro-saint rendez-vous. Au nom de Doctolib, du spécialiste et du non conventionné. Amen. J’ai une date dans 12 semaines. 


Difficile d’en vouloir à ceux qui repartent de chez le médecin bougons. Des déçus de l’infirmier en radiologie qui maltraite des poignets fêlés, des rabougris des stéthoscopes trop froids les jours de grippe, des non-contents des rendez-vous retardés qui finissent par durer 5 minutes facturées 27 euros. Difficile de reprocher à ceux qui se voient annoncer les grands désastres de leurs vies par des airs blasés, apathiques et maussades. “Je ferai tout pour soulager les souffrances”, disait Hippocrate dans son serment séculaire. Envers et contre tous, les praticiens s’y tiennent : ils soulagent. Et les patients triment avec leurs traitements, leurs examens, leur déroutant suivi et la solitude qui succède à la fermeture de la porte du médecin. Ils repartent avec un “bon courage”. Merci doc, me voilà soulagée.  


J’enchaîne les perfusions depuis près d’un an, l’intérieur de mes coudes ressemble à une mosaïque, je connais mieux les nouvelles rides de mon neurologue que celles de mes parents, je déteste la climatisation des IRM et les cuisiniers des hôpitaux n’ont toujours pas les moyens de bien faire à manger. J’ai mal au crâne en permanence, dormir sans somnifère est devenu impossible, je ne vois rien, mes jambes ont la tremblotte et ce vertige constant est harassant. Je suis chaque jour aussi fatiguée qu’après un semi-marathon. J’en sais quelque chose : fut un temps mon corps était capable de faire des semi-marathons. Mais le médecin a dit “bon courage”. Alors pas d’inquiétude, pas de complainte. 


Parfois, à des heures trop tardives, trop seules, trop désespérées… je m’essaie à quelques théories. Et si je changeais de stratégie ? Et si j’allais voir quelqu’un d’autre ? Et si d’autres genre de médecins pouvaient me soulager ? Des médecins qui accueillent avec un grand sourire. Qui ne disent pas “bon courage” mais “ça va aller”. Qui me proposent des traitements sans effets secondaires, sans piqûres, sans me retrouver enfermée dans un tube de trois mètres cubes dans lequel l’air froid circule beaucoup trop fort. Qui ne me diront pas que c’est dégénératif. Car si j’y mets du mien, ça partira. Qui ne me diront pas que c’est incurable. Car si j’y mets du mien, ça partira. Je ne serai pas contre aller toquer chez un naturopathe. Il me fera mon “bilan de vitalité” - un diagnostic qui n’a pas le droit de dire son nom dans le milieu. Et me prescrira un “plan de remise” en forme - un traitement qui n’a pas le droit de dire son nom dans le milieu. “Pas le droit”, car venant d’un naturopathe, c’est une pratique illégale de la médecine que de poser un diagnostic et de préconiser un traitement. 


Mais le naturopathe ne dira pas ces noms. Alors, il pourra me demander 70 euros, non remboursés, en me conseillant d’arrêter le café, de manger moins de viande (je suis végétarienne) et de bouffer de l’édulcorant enrichi en huile essentielle de géranium ou de millepertuis. Que demande le peuple ? La facilité. La naturopathie a au moins ça pour elle. Sans doute le ministère de la Santé devrait-il consulter des naturopathes de temps à autre, histoire de constater tout ce que la médecine conventionnelle, maltraitée et maltraitante, a à lui envier. Les sourires des vendeurs de rêves portent mieux l’espoir que les discours des détenteurs de sciences.