Malgré toutes ses stratégies de dédiabolisation, le Rassemblement national ne peut plus cacher la proximité de certains de ses membres avec les sphères complotistes. Ni les milliers de soutiens dont il dispose dans des groupes conspirationnistes.
“L’homme n’a jamais marché sur la Lune”, “Le covid ne touche pas les enfants”, “Le gaz a rendu justice aux victimes de la Shoah”... De quoi s’agit-il ? Réponse A : des messages extraits d’une conversation obscure sur Telegram. Réponse B : le cris d’un oncle aux nez rougi par la boisson à un repas de famille. Réponse C : des propos tenus par trois candidats du Rassemblement national qui se présentent aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet. Verdict : réponse C, hélas.
Jonathan Rivière à la Réunion, Emmanuelle Darles en Gironde et Joseph Martin dans le Morbihan, se présentent sous la bannière du Rassemblement national aux législatives, rappellent nos confrères du Monde. Trois noms parmi la flopée de candidats RN taxés de conspirationnisme. Le parti héritier du Front national n’a rien lâché de ses racines fâchées avec la vérité. Le vaccin contre le Covid 19 ? Une sombre manipulation destinée à empoisonner les Français. Le dérèglement climatique ? Du “terrorisme climatique”. Des enfants ukrainiens capturés par la Russie ? “Un réseau pédophile”. L’observatoire du complotisme Conspiracy Watch dénombre une vingtaine de candidats RN partageant des théories du complot - sans parler des propos antisémites. Tous se sont défendus en évoquant des paroles “mal interprétées” ou “sorties de leur contexte”.
Complotisme et extrême droite vont de pair
On aurait tendance à croire que complotisme et politique ne riment pas. Empêtrés dans les clichés relayés par de nombreux médias, on voit souvent les adeptes de théories du complot comme des marginaux naïfs et peu éduqués. Mais c’est l’inverse. Les conspirationnistes sont très informés - à leur manière - et rodés à une rhétorique pointue semant le doute et écartant toute contradiction.
“Le complotisme n’est pas dénué d’idéologie politique, abonde Victor Mottin, de Conspiracy Watch. Au contraire : le lien entre extrême droite et complotisme est inhérent.” En témoigne la théorie du Grand remplacement. Popularisée par Renaud Camus dans les années 2010, cette théorie du complot pose qu’une élite dirigeante organiserait le remplacement de la population française par une population étrangère. Elle prend ses racines dans les thèses antisémites de l’Allemagne des années 30, et le génocide qui en a découlé.
Le Rassemblement national, investi d’une conscience humaniste inédite, se défend de tout antisémitisme. Pourtant, ça ne l’empêche pas d’allègrement utiliser le champ lexical du remplacement au moindre débat traitant de l’immigration. Pour rappel, le 3 mars dernier, l’ONU a affirmé que la thèse du Grand remplacement a directement incité à la violence dans le monde. Si la plupart des représentants du RN, Jordan Bardella et Marine Le Pen en tête de liste, préfèrent désormais utiliser la notion de “submersion migratoire”, d’autres ne s’en privent pas. A l’image du leader du RN en Mayenne Jean-Michel Cadenas ou encore de la sœur de la présidente du groupe RN Marie-Caroline Le Pen.
En Meurthe-et-Moselle, le candidat RN Pierre-Nicolas Nups a fait polémique la semaine dernière, rapporte L’Est-Républicain. L’objet de l’esclandre, de nouvelles affiches de campagne pour les législatives : un petit garçon blond aux yeux bleus, floqué du slogan “Donnons un avenir aux enfants blancs”. La théorie du grand remplacement a de beaux jours devant elle.
La nébuleuse 2.0
ComplotistDeleter connaît bien la violence complotiste d’extrême droite. A la tête de l’Aluces (Association de lutte contre le complotisme et d’éducation au scepticisme), il a dénoncé les cyberattaques du groupe italien V_V. Deux de ses leaders ont été condamnés depuis, pour avoir orchestré le harcèlement en ligne de personnalités politiques et fait de la manipulation de sondage à la faveur du RN et de Reconquête. Car le conspirationnisme n’est pas anodin. Et c’est curieusement sur internet qu’il revêt ses armes les plus tranchantes.
Des dizaines de milliers de personnes partagent des centaines de fausses informations par jour sur Telegram. Certains de ces groupes ne cachent pas leur soutien au RN. “Le grand remplacement est réel”, s’époumonait encore ce 26 juin un membre de QAnon France, branche francophone de la mouvance éponyme américaine à l’origine de l’envahissement du Capitol. “Viktor Orban confirme que la théorie du grand remplacement est vraie”, renchérit un autre. Il est alors important de rappeler la proximité du RN avec le Premier ministre nationaliste Hongrois. Pas plus tard que cet automne, Marine Le Pen lui rendait une petite visite à Budapest.
On pourrait croire qu’il ne s’agit que de propos tenus en ligne, sans valeur et à l’impact dérisoire. Seulement, ces groupes sont gigantesques. 16 000 abonnés par-ci, 35 000 par là, 10 000 dans un autre… autant de personnes abreuvées d’un obscur mélange de conspirationnisme et d’ultra-conservatisme.
Parfois, les administrateurs ordonnent des “attaques”. “Il y en a eu quelques unes récemment”, note ComplotistDeleter. “Les organisateurs vont demander aux gens de se rendre sur le site d’un sondage ciblé et d’inscrire la réponse qui les arrange. Ils n’arrivent pas toujours à inverser la tendance, tout dépend du sondage et du nombre de votes. Quand ils interviennent dans des sondages où il y a entre 50 000 et 70 000 votes, ils arrivent à influencer le bilan. Dès que ça dépasse les 100 000, ils n’ont que très peu d’impact.” Le voici le danger : influencer un sondage en faveur de l’extrême droite, de quoi délier les votes des plus hésitants.
Quant aux articles qu’ils partagent, ils sont extraits des sites favoris des conspirationnistes : l’indémodable France soir de Xavier Azalbert et Egalité et réconciliation d’Alain Soral. Deux directeurs de publication accusés ou condamnés pour antisémitisme donnant régulièrement la parole à l’extrême droite, en la personne de Florian Philippot notamment. Après les candidats RN et les groupes Telegram, les médias “non-conventionnels” sont la troisième ligne du front conspirationniste d’extrême droite. Les deux premiers sites, cités ci-dessus, cumulent 4 millions de visites mensuelles, note Conspiracy Watch. Sans parler du site de “réinformation” Breizh Info, fondé par Yann Vallerie, ancien président de Jeune Bretagne, un mouvement d’extrême droite identitaire. Sur Odyssée - sorte de YouTube moins censuré et très prisé des conspirationnistes - les idées d’extrême droite se mêlent allègrement aux thèses anti-vax, évoquant au passage les Chemtrails ou encore les “dangers” de la 5G.
A surfer sur sa connivence avec les sphères conspirationnistes, le RN joue à un jeu dangereux. Mais comme savent très bien le faire les rhéteurs complotistes : “Pile, je gagne. Face, tu perds.” Une méthode imparable pour rassembler des électeurs autour d’un discours houleux.