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Derrière le mouvement des "citoyens souverains", des risques de dérives sectaires bien réels

Publié sur midilibre.fr
21 juin 2024 par
Elise do Marcolino

Au mois de mai, le refus d’obtempérer d’un citoyen souverain a fait parler de lui dans le nord de la France. Et pour cause selon lui, il n’appartenait pas à "l’entreprise France". Si le mouvement peut sembler anecdotique, il représente des risques bien réels d’isolement et d’emprise sectaire. 

"Je ne contracte pas." La phrase a fait le tour des médias le mois dernier. Un couple d’automobilistes qui refusait de se soumettre à un contrôle de police avait été filmé en train d’expliquer pourquoi il n’appartenait pas "à l’entreprise République française".

Il y a deux jours, une histoire similaire a été révélée par nos confrères de La Dépêche, dans le Tarn-et-Garonne. Le conducteur, refusant de présenter un document d’identité, a donné aux forces de l’ordre une "carte d’être humain". À savoir, une fiche plastifiée indiquant simplement cette mention. Les gendarmes ont tout de même procédé à quelques vérifications, réalisant rapidement que cet homme n’avait plus de permis, faute de points, et qu’il n’était plus assuré.

On estime à 3 000 le nombre de personnes se revendiquant "citoyens souverains" en France. Si le risque pénal est relatif pour les membres de ce mouvement, le risque d’isolement et de privation de certains bénéfices est quant à lui bien réel, rappelle l’avocat montpelliérain Jean-Baptiste Cesbron : "C’est une pensée globale qui entraîne un isolement, dont les conséquences peuvent être importantes."

Des "QAnon" américains aux "One Nation" occitans

Depuis 2020, dans le village de Sénaillac-Lauzès dans le Lot, une influenceuse d’un nouveau genre explose sur les réseaux sociaux. Alice Pazelmar, ou Alice Martin Pascual, est derrière One Nation, un mouvement antirépublicain et conspirationniste. C’est-à-dire qu’il soutient la thèse d’une conspiration des élites à l’encontre du peuple. Dans l’une de ses vidéos, elle brûle son passeport.

La leader du mouvement a longtemps lutté pour installer son projet One Lab dans le Lot, avant de devoir renoncer à l’achat de la propriété convoitée. Son but était de créer un endroit où les partisans de One Nation pourraient se réunir et vivre avec des personnes partageant leurs idées. Sans souffrir du jugement des autres ou de la répression des autorités qui pointent et s’inquiètent de dérives sectaires. Alice Pazelmar a finalement établi ses quartiers à Digne-les-Bains dans les Alpes-de-Haute-Provence avant d’être interpellée et condamnée pour des infractions au Code de la route.

One Nation s’est inspiré de QAnon, un mouvement américain conspirationniste d’extrême droite à l’origine de l’invasion du Capitole après l’élection de Joe Biden face à Donald Trump. Guidés par un certain "Q" sur des forums anonymes, ses membres sont invités à se méfier d’une partie des personnages politiques, qui prendraient part à des "rituels pédosataniques". Si contrairement à QAnon, One Nation n’est pas politisé, ou en tout cas pas autant, le mouvement occitan soutient l’existence d’une élite sans scrupule, manipulatrice, déviante et malade. Il exhorte à se détacher de l’État et de ses institutions : en ne votant pas, en refusant de contracter, d’effectuer des démarches telles que la déclaration de revenus ou le renouvellement des documents d’identité.


Qui sont les citoyens souverains ?

Les citoyens souverains sont des personnes qui ne désirent plus faire partie de l’État, au nom de tout ce qu’ils lui reprochent : manque de transparence, non-respect des citoyens, mise en danger de la vie d’autrui et recherche de profit. Pour les membres de ce mouvement, la France est une entreprise privée qui se livre à des pratiques dénuées de scrupules. Ses salariés ne seraient autres que les Français qui, via leurs documents d’identité, se feraient avoir par "la fraude du nom légal", note Conspiracy Watch.

"La Constitution de 1958 a cessé d’exister juridiquement en février 2008." Quand on remonte le fil Telegram des citoyens souverains, on découvre une nébuleuse de sites internet qui tentent d’expliquer pourquoi le texte fondateur de la Ve République est caduc.

Contacté par Midi Libre, un homme qui appartient à cette mouvance nous explique que selon lui : "Nous avons désormais à faire à des usurpateurs en lieu et place de dirigeants légitimes."

Au nom de quoi les citoyens souverains se donnent le droit de ne pas se soumettre à leurs devoirs civiques. Le respect des lois, la déclaration des biens et des revenus, l’identité, et même parfois l’utilisation de la monnaie… ne font plus sens pour eux. L’État devient illégitime.

Que risquent-ils ?

Pas vu, pas pris. Pénalement, rappelle Jean-Baptiste Cesbron, les citoyens souverains ne risquent quelque chose que s’ils font l’objet d’un contrôle. C’était le cas dans les vidéos diffusées ces dernières semaines. On peut alors parler de refus d’obtempérer, passible de 2 ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Mais la plupart du temps, ils n’écopent que de rappels à la loi. À moins qu’ils ne tiennent "des propos violents, déplacés… s’il y a des délits conjugués, la réponse de l’État sera proportionnelle et ils pourront parfois avoir de la prison ferme".

Le danger est ailleurs : "L’isolement social peut présenter des risques. Ça veut dire pas de retraite, pas de protection sociale, pas d’assurance-vie, pas de scolarisation des enfants…" Sans parler de la porte qui s’ouvre sur les dérives sectaires : les prêcheurs des idées des citoyens souverains sont parfois des gourous"Ils vont isoler de la famille, du travail, de la société", énumère l'avocat spécialisé dans l'emprise et les dérives sectaires.

Par ailleurs, "il ne faut pas oublier que si les citoyens souverains se détachent du matériel, les gourous sont au contraire très proches de la réalité matérielle. Par exemple Alice Pazelmar appelait les gens à donner leurs économies pour créer sa communauté dans le Lot." Pavés de bonnes intentions, les gourous n’en demeurent pas moins conscients de l’argent, du pouvoir et de l’art de la manipulation – alors même que c’est ce qu’ils dénoncent chez l’État. Et même leur principal argument pour rallier des adeptes.