Il se fait appeler ComplotistDeleter. Le président de l’Association de lutte contre le complotisme et d’éducation au scepticisme (Aluces), traque les raids de désinformation et de manipulation de sondages sur internet. Chasseur de cyber-complotistes, il a révélé les abus de plusieurs internautes, interpellés depuis.
Vous êtes le fondateur de l’Association de lutte contre le complotisme et d’éducation au scepticisme, de quoi s’agit-il ?
J’ai créé l’association il y a deux ans. Elle a pour objectif de repérer les raids de cyberharcèlement des sphères complotistes contre les institutions. J’ai créé un logiciel qui permet de détecter ces attaques et d’alerter systématiquement les victimes pour qu’elles puissent se défendre.
Pourquoi voulez-vous rester anonyme ?
Ce que je fais au sein de l’association a mis pas mal de bâtons dans les roues de la sphère complotiste. Mes signalements ont mené à l’arrestation de certaines personnes actives dans ce milieu. Je ne veux pas qu’ils connaissent mon identité.
Comment trouvez-vous que le complotisme a évolué ces dernières années ?
Je fais de la surveillance active depuis deux ans. Quand je suis arrivé dedans, il y a eu un gros pic de complotisme avec le Covid. Maintenant, c’est plus calme.
Où est-ce que vous l’observez le plus ?
C’est sur internet que j’observe le plus les complotistes. Ils s’y organisent pour mener des actions à l’extérieur. Il arrive qu’ils fassent leurs rapports sur les réseaux sociaux, ils prennent des photos des actions qu’ils mènent. Ce n’est pas dans la rue que j’observe le plus ce phénomène mais sur internet, là où ils communiquent.
Pourquoi faut-il lutter contre le complotisme ?
Parce qu’il peut avoir de dangereuses conséquences sur la société. Le complotisme peut être une porte d’entrée dans des groupes à dérives sectaires. Il fait croire à de mauvaises choses et agir dans un sens contraire à la réalité. Il provoque des réactions violentes, c’est le cas dans les groupes que je surveille.
De quelles violences s’agit-il ?
Des formes plus ou moins extrêmes de violences s’expriment via du cyberharcèlement sur les réseaux sociaux. Rien que pour ça, le complotisme doit être combattu. Ou ne serait-ce que pour l’hygiène mentale des personnes qui croient à ces théories. Il faut que les gens aient plus d’esprit critique et ne soient pas enclins à croire et à faire n’importe quoi.
Quels sont leurs profils ? S’agit-il de gens bien conscients de ce qu’ils font, ou plutôt de personnes qui y croient innocemment ?
Certains complotistes sont de bonne volonté. Ils croient sincèrement à de fausses informations, ils sont victimes de manipulations et agissent en conséquence. Et si je n’ai rien pour l’affirmer avec une absolue certitude, d’autres mènent des raids afin de manipuler les gens, gagner en visibilité, faire du commerce… Eux ont de mauvaises intentions.
Quels groupes surveillez-vous ?
J’observe principalement un groupe d’origine italienne baptisé V_V. Il organise sur Télégramme des raids de désinformation, de façon privée et cachée. J’ai aussi surveillé Le grand réveil qui manipule des sondages sur internet, il envoie des raids pour inverser les tendances.
Vous parlez de raids, de sondages déformés. Comment sont-ils organisés ?
Les complotistes se réunissent sur des groupes Télégramme qui rassemblent plusieurs milliers de personnes. Les organisateurs vont demander aux gens de se rendre sur le site d’un sondage ciblé et d’inscrire la réponse qui les arrange. Ils n’arrivent pas toujours à inverser la tendance, tout dépend du sondage et du nombre de votes. Quand ils interviennent dans des sondages où il y a entre 50 000 et 70 000 votes, ils arrivent à influencer le bilan. Dès que ça dépasse les 100 000, ils n’ont que très peu d’impact.
Que fait concrètement l’association pour lutter contre ces cyberattaques ?
J’ai créé un bot, un robot, qui permet de détecter automatiquement les attaques et d’alerter les personnes. Il m’est arrivé d’appeler moi-même l’institution victime d’un raid ou de cyberharcèlement pour la prévenir.
Comment parler à quelqu’un qui adhère aux théories du complot ?
Il y a plusieurs années, j’aurais dit qu’il fallait démonter ces arguments un par un. L’expérience m’a fait comprendre que ça ne marchait pas. A l’inverse, ça les renforçait dans leurs croyances. Aujourd’hui, je dirais qu’il faut écouter ce qu’ils disent, les faire développer toutes ces théories. En essayant de comprendre comment les complotistes fonctionnent et pourquoi ils croient tout ça, on peut espérer les mettre face à leurs contradictions. Connaître leurs arguments ne peut avoir qu’un effet positif, d’autant plus si on arrive à avoir plusieurs échanges avec eux, pour espérer les faire prendre conscience de leurs erreurs sur le long terme.