Ludovic Durand est l’un des seuls anciens scientologues à s’exprimer publiquement en France. Il y a dix-sept ans, il a quitté le mouvement pour lequel il avait sacrifié une grande partie de sa vie et s’était personnellement endetté. Depuis, il n’a plus revu son fils, resté adepte.
Pourquoi la scientologie est-elle dangereuse ?
Vous avez cinq heures devant vous ? J'ai identifié trois dangers principaux. C’est l’étape de purification, avec des vitamines spéciales, la déconnexion des familles et la vie professionnelle.
On doit passer par la purification pour être scientologue ?
Oui, la véritable première étape, c'est la procédure de purification. Pendant trente jours, on doit faire au minimum quatre à cinq heures de sauna par jour, en moyenne, avec des doses croissantes de vitamines et de minéraux. Ce sont des quantités affolantes, jusqu’à une poignée de comprimés quotidienne. Procédure que moi, j'ai faite deux fois. Pas sans souci. Ça, c’est la porte d’entrée.
Inextirpable
Ludovic Durand a passé dix ans dans l'église de la scientologie. De 1997 à 2007, il a monté les échelons afin de devenir auditeur. A comprendre, il faisait passer des entretiens aux adeptes munis d'un "électromètre" afin de développer leur "liberté spirituelle". La pratique est au cœur du mouvement. Après des années de calvaire, il a choisi de sortir du mouvement au prix d'un lourd tribu : son fils, qu'il n'a pas pu revoir et qui appartient toujours à la scientologie.
Comment font-ils pour qu’on ne les accuse pas de mettre en danger la santé des adeptes ?
En fait, en scientologie, tout est toujours écrit. Ils ne font rien qui sorte de la procédure. Et pour la procédure de purification, il est absolument nécessaire d'avoir un certificat médical délivré par un médecin généraliste.
Je l’ai signalé à la Miviludes [Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires], ils sont au courant, l’Ordre des médecins aussi. Les médecins généralistes non scientologues refusent de délivrer ce genre de certificat. Mais des médecins font partie de la scientologie et délivrent des certificats d’aptitude pour le processus de purification. S’ils n’avaient pas ces médecins, ils n’auraient pas ces documents pour la purification. Et sans cette étape, la scientologie s’effondre.
Et ensuite, les adeptes s’isolent ?
C'est la déconnexion, c’est le deuxième danger, ça détruit des familles. Si vous vous opposez d'une manière ou d'une autre aux dirigeants, à la technologie ou aux fondateurs, vous êtes déclaré “personne suppressive”. Et tous les gens qui sont en contact avec vous doivent “résoudre la situation”. Soit ils arrivent à vous convaincre de revenir dans le droit chemin. Soit ils coupent les liens avec vous. C'est écrit dans le règlement.
Et une personne suppressive, qui est sortie de la scientologie, doit faire un parcours du combattant si elle veut revenir pour voir ses proches. En général, ça passe par de gros chèques. Mais il y a aussi des personnes qui au fond, ne sont plus scientologues, mais qui font semblant parce que sinon, elles n’auront plus de lien avec leurs familles. Dans le jargon, on dit qu’ils sont “sous le radar”.
Toute la vie des adeptes est construite autour de la scientologie ?
Oui et c’est le troisième point, c'est l'aspect monde du travail. Actuellement, à l'organisation de Saint-Denis, 182 membres sont bénévoles. Au dessus, il y a le bureau de l’association. Il y a un président, un trésorier, un secrétaire, et puis tout un tas de membres supplémentaires. Ils sont à peu près une quinzaine.
Comment fonctionne ce “bénévolat” ?
Ils sont soi-disant bénévoles parce qu'ils ont un contrat pour être membres du personnel. Ici, c’est des contrats de deux ans et demi. Dans le haut-clergé de la scientologie, la “Sea Org”, ils signent pour un milliard d’années. En France, Ils bossent en moyenne 52 h 30 par semaine. Ce qui veut dire 40 h de production et 12 h 30 de temps d'amélioration personnelle. Ça, c'est ce qui est écrit. Dans les faits, il y en a beaucoup qui ne prennent pas le temps de l'amélioration personnelle. Ils bossent 50 à 60 h par semaine.
Et ils sont payés une misère, c'est-à-dire approximativement 100 euros par semaine. Et il y en a qui touchent beaucoup moins. Moi, sur la fin, j'avais un poste d'auditeur. C'est-à-dire que j'étais dans l'élite. J'avais une meilleure paie. Quand j’avais 100 euros par semaine, j’étais le roi du monde. Il n'y a pas de cotisations sociales. Il n'y a pas de retraite. Par contre, les revenus sont déclarés. Souvent, on est obligés d'avoir un époux, un compagnon, qui a un job à l'extérieur et qui fait rentrer de l'argent. Ou alors, il y en a qui ont des parents assez riches. Mais la plupart du temps, non. Ils ont un job à l'extérieur. Comme c’était le cas pour moi.
Comment avez-vous fait pour vous en sortir financièrement ?
Je faisais à peu près 50 h, ou un peu plus en scientologie, et puis j’allais bosser 20 à 25 h en dehors. A côté, je bossais dans le textile. Une boîte qui vendait du tissu en gros pour des fabricants de prêt-à-porter. En tout, je faisais souvent des semaines de 80 h. Mais mon patron était scientologue, c’était conseillé. Quand on avait un travail à l’extérieur, un “moonlight”, il fallait de préférence bosser pour un scientologue. Quand la boîte a coulé, il m’a escroqué et je me suis retrouvé avec ses grosses dettes. Et comme il était scientologue, je ne pouvais pas m'attaquer à lui.