Sophie est infirmière. Elle travaillait en soins palliatifs en Alsace quand elle a vu, en 2006, une jeune femme mourir d’un cancer fulgurant après deux semaines d’hospitalisation. Pendant les sept derniers mois, la patiente avait tenté de traiter sa tumeur au cerveau avec des tisanes.
Le pire danger des dérives sectaires est la plus grande frayeur de tout soignant : la mort. Il y a 20 ans, Sophie a vu mourir une jeune femme atteinte d’un cancer au cerveau fulgurant. Âgée de 34 ans, la patiente avait dans un premier temps suivi des conseils recueillis dans des livres de naturopathie. Pendant sept mois, elle avait traité sa maladie à l’aide de tisanes et autres granulés homéopathiques. Finalement, elle avait été prise en charge à l’hôpital et commencé une chimiothérapie. Hélas, elle est morte deux semaines plus tard, en soins palliatifs, chez sa sœur.
Le pire conseil, au pire moment
“Un ostéopathe lui avait dit que la chimio allait la tuer.” Quand Alice apprend qu’elle a un cancer du cerveau, elle est paralysée par l’annonce. Elle a 34 ans, et elle se sent mourir. La peur, le déni, la colère… s’emparent d’elle. Comme tout patient après un terrible diagnostic. “Elle était persuadée que le naturel ça soignait plus que la chimie”, raconte l’infirmière. Alors, Alice achète des livres de naturopathie, consulte des homéopathes… Elle boit des tisanes, consomme régulièrement les granules disponibles en pharmacie.
La sœur d’Alice assiste impuissante à sa descente aux enfers. La jeune femme s’affaiblit, le cancer se renforce. Elle est jeune, ses cellules se multiplient à une vitesse fulgurante, la maladie prend le pas de la course contre la mort. Si le cancer est le lièvre, l’emprise sectaire est une tortue. Elle ne s’arrête pas avant la fin. “Quand elle s’est enfin tournée vers l’oncologie, ça faisait sept mois qu’elle était malade. Sa sœur m’a raconté comment elle avait essayé de se soigner seule, parce qu’elle avait peur de la chimiothérapie. Elle avait vraiment refusé tout traitement et elle s'était laissée embobiner. ”
A l’époque, Sophie travaille en soin palliatif. Elle s’occupe d’Alice qui a été recueillie chez sa sœur. La jeune femme est incapable de parler, n’a plus de cheveux. “Ça m'a beaucoup marqué, elle était tellement affaiblie...” Deux semaines plus tard, Alice est morte.
En première ligne
Vingt ans après, l’infirmière se désole encore pour cette jeune femme. Et fulmine. C’est la rage du soignant que l’on empêche de soigner. La colère de celle qui sait que le pronostic aurait été bien meilleur avec un traitement immédiat après le diagnostic. “Un cancer du cerveau… c’est fou. Je me demande comment on a pu lui dire que ça guérirait avec des tisanes”.
Et quel genre de personne laisserait une jeune femme mourir pour vendre des infusions ? “Ça m'a profondément choqué. Faire de l’argent sur la mort des gens, sur la santé des gens… Je ne comprends pas que des pseudo-médecins puissent faire croire à d'autres qui peuvent les soigner avec des médecines alternatives, alors que je pense qu'ils savent que ça ne peut pas marcher.”
Ce drame a profondément marqué la carrière de Sophie. “On aurait pu la sauver”, martèle-t-elle encore. Et c’était en 2006, quand les réseaux sociaux ne s'étaient pas encore emparés de la médecine alternative. Aujourd’hui, en quelques clics, des charlatans vendent des morts lentes et douloureuses.
Et puis il y a eu les années Covid, qui ont marqué au fer rouge notre regard sur la santé. Désormais il y a les “médicophiles”, et les “médicophobes”. Même parmi les soignants, déplore Sophie : “J’ai des collègues qui ont été suspendus, qui ne voulaient pas se faire vacciner. Et puis il y a des infirmières qui sont parties pour aller exercer en libéral. Elles mettent qu’elles sont infirmières, ça crédibilise. Mais elles font de la naturopathie.”
Pourtant, Sophie se souvient de la peur dans les couloirs de l’hôpital il y a quatre ans. “Dans les Ehpad, les gens tombaient comme des mouches. On avait des PCR pour les soignants mais on avait peur de le faire aux autres parce que tout le monde tombait malade. Je ne comprends pas les soignants qui se méfient de tout ça. Quand on a vu l’impact du Covid, on ne peut pas dire non aux vaccins.”